Les villes en creux.
Notre imaginaire moderne est tourné vers la ville. Parce que c’est un objet, un truc, un machin dont la forme finie est manipulable On peut aisément la mettre à distance comme on aime bien faire. Elle est d’autant plus manipulable, que c’est une construction humaine dont a priori tout le monde a des clés de lecture . C’est ce que décrit très bien le personnage de Marco Polo dans les villes invisibles d’Italo Calvino lorsqu’il s’adresse à l’homme aux chèvres dans une ville sans fin du nom de Cécilia. Il lui explique qu’en dehors des villes, les lieux dans lesquels il passe finissent par se ressembler.
Un imaginaire est là qui outille un aménagement de la campagne en continuité de la ville. Qu’est-ce que ce serait un imaginaire qui outille un aménagement de la ville en continuité de la campagne.
Dans les villes en creux, ne se pose pas vraiment la question de la campagne et de la ville en terme d’opposition mais celle de vivre un assemblage de différentes densités sur la terre. La ville y est présente mais extérieure elle n’est pas le sujet direct c’est le sujet en creux de cette suite de textes.
Les objets issus de ce pas de coté sont a voir comme autant de passerelle entre notre réalité et celles que décrivent ces fictions. Ils sont à ce titre comme des véhicules vers d’autres mondes possibles.
Le mirroir des lauzes, lauzes mirror
De l’autre coté de la nuit.
Je traversais une vallée plantée d’arbre, escarpée. Il n’y avait là aucune maison que l’on put apercevoir. Comme le défilé se faisait long et le jour à décliner, je m’arrêtais. Je laissais mes chèvres en garde à mon chien et je m’installais pour la nuit. L’air était chaud et pur. Je ne fis pas de feu. La nuit tombait. A mesure que s’accrochaient les étoiles à la voute céleste comme des pin’s sur une veste en cuir, tour à tour, je voyais s’allumer comme de petits luminions en symétrie des constellations du ciel.
Je vis sortir du bois un homme muni d’une lance à bunzène et d’une bouteille de gaz sur le dos. Concentré sur son pas, il passait devant moi sans me voir. Je le hélais : » dites-moi monsieur que faites-vous ? »
« Mais voyons, nous sommes le prêtre éclairagiste d’Astronomica. Chaque nuit nous allumons ces petits luminions en lieu et place de leur grandes soeurs dans le ciel. Nous croyons qu’il existe une ville là-haut dont nous percevons les lumières. Perdus entre le haut et le bas, les habitants de l’autre ville se trompent peut être d’endroit et viennent ici… A moins qu’ils ne nous jouent le même tour… et peut être ne faisons nous que nous croiser. »
Sous les grands arbres.
Je marchais depuis des jours . A travers les collines sans personne, je croisai parfois un épervier, parfois un troupeau de moutons anarchistes, c’est à dire sans berger.
En haut d’une côte, j’apercevais dans un pli de terrain un réseau de sentiers marqués au sol. Leur largeur témoignait du pas de l’homme.
En quête de mes semblables, je décidais de m’en rapprocher. En mal de conversation, je cherchais alors les miens comme on piste une bête. Le lieu portait une curieuse atmosphère. Etait-ce ces bosquets répartis sur la lande . Parfois les sentiers les contournaient, parfois ils y menaient. Etaient-ce ces troupeaux de chèvres sans pasteur qui semblaient brouter comme avec circonspection les bordure des bosquets. Peut-être leur composition était étrange ou bien trop familière pour n’être seulement qu’un groupe d’arbre. Je ne saurait dire comment mais l’endroit était marqué par la présence humaine. Je n’osai y pénétrer, comme si je n’y étais pas invité.
Je contournais un ensemble d’arbres par la droite et ce qui avait été jusqu’ici un bourdonnement infime m’éclatait aux oreilles et à la vue. La dans un creux, une grande clairière, on aurait dit le spectacle de la rue comme à New-York, Ambre ou Tel-brak. Les enfants s’y égayaient en se lançant de l’eau d’un ruisseau-fontaine sous le regard des mères qui discutent en fumant leur pipes et des jeunes hommes occupés à leur tricot. D’autre jouent aux boules et sirotent une anisette. Rien qui ne bouleverse l’ordre du monde. Sauf une chose. A Ambrosia, il n’est rien pour mur que la peau des arbres.
Dans les fourrés intimes, les amoureux et les familles s’en vont dormir à la nuit.
La peau de leur habitat change avec les saisons. Transparente à l’hiver, elle laisse passer la lumière. Opaque en été, elle ramène la fraicheur comme n’importe laquelle de nos haies de feuillus. Ils habitent des jardins centrés autour d’une pièce d’eau à laquelle on peut boire. Dans ce jardin, il y a un support noir au dessus duquel est tendu un second épiderme. C’est là que l’on dort, que l’on s’abrite quand il fait froid, tout le reste peut être fait dehors.
Ainsi les gens d’Ambrosia habitent-il la terre comme un jardin. La ville y est à cultiver de l’intime au publique.
Le tas de caillou.
Il y avait là, au centre d’un vaste cirque une pierre unique, grise et mangée de lichens. Dessus étaient inscrites ces quelques mots en cursives :
« Nous habitions un tas de cailloux
Nous étions pauvres, mais nous n’avions pas faim
Nous avions des arbres à pain.
Nous étions aussi nombreux que les cailloux.
Un jour l’horizon c’est ouvert
Alors nous sommes partis vers d’autres terres.
A l’aventure ou pour les sous.
Chacun dans sa poche un caillou a gardé
et de notre pays n’est resté
que le caillou que chacun avait emporté. «
Première/dernière pierre, first/last stone
La dérive des plateaux.
Le soleil montait à une allure étonnante. Puis la pente qui semblait tout à l’heure fort douce se mit à à grimper bien d’avantage. J’avais du mal à croire mes sens. Ce que mes yeux et mes muscles disaient du mouvement du terrain, ne cadrait pas avec ce que je savais de physique ou de géologie.
Sortie sur son perron, une femme me héla : « Ne restez pas dehors, rentrez vites! »
J’obéissais. Passé le pas de la porte, elle me dit : »Vous comprenez, c’est un jours de forte reconfiguration. La dérive des plateaux est importante aujourd’hui. Il vaut mieux que vous restiez à l’abri. »
Après m’être remis d’aplomb au renfort d’un chocolat chaud, j’apercevais sur le vaisselier une série de pièces en mouvement. Elles glissaient sur la surface du meuble sans que je puisse en dégager une quelconque logique.
Intrigué, je demandais l’usage de cet objet à mon hôtesse : « hum, on pourrait dire que c’est une espèce d’horloge géologique. » Comme je paraissais décontenancé, elle continuait : « Vous comprenez, le terrain bouge tout le temps ici, plus ou moins vite… du coup, tout peut changer dans la semaine. Par exemple, mon mari était parti couper du bois sur la colline d’en face, il s’est retrouvé à 150 km d’ici. J’ai du attendre 1 mois avant qu’il ne revienne à la maison. 1 personne isolée de la sorte par la dérive n’est pas rare, c’est pourquoi l’hospitalité est une règle fondamentale de notre communauté.
Certains de nos proches parents se retrouvent alternativement dans le hameau d’à coté puis à l’autre bout du pays, sans qu’il y ait à cela une règle quelconque. Une carte de ce type nous est donc fort utile. Un peu comme la météo, vous voyez? Pour savoir si ça bouge vite, essayer d’anticiper la trajectoire d’un plateau ou la course d’une colline.
1.Horloge géologique, geological clock.
2.Atlas, l’arbre pillier, pilar tree
Les monnaies de marrons .
J’aurais du me douter de quelque chose en voyant les grillages autour des arbres, les hommes en patrouille, armés de fusils de chasse trafiqués; avec au bout de leur bras une laisse parfois deux ou trois et au bouts de leurs laisses des colliers à pointess et dans les colliers à pointes, des sanglichons à l’air pas tibulaire mais presque.
Dans certains replis de schistes, on voyait saillir des assemblages de tuyaux fortifiés à leur base par des constructions de pierres. Les forêts étaient ceintes de pareils remparts. Cela sentait le sucre que l’on transforme, l’alcool. Je conclus qu’il s’agissait de distilleries. Restait à comprendre pour quelle raison une garde aussi vigilante en était assurée.
Sur la place du marché d’un hameau, je passais parmi des femmes ornées de colliers et de bracelets en perles de châtaignes. J’observais les échanges à un étal de fruits et légumes. En paiement des courses, les femmes se défaisaient d’un collier, ou faisaient glisser une ou deux châtaignes de leurs bracelets.
J’apercevais derrière moi un autre aventurier, qui goguenard jaugeais de ma surprise derrière la fumée d’une pipe en porcelaine. Je m’approchais de lui : « Vous semblez au fait des us de ce pays. Pourriez-vous m’éclairer afin que ma crasse ignorance cesse d’exciter votre moquerie? » Lui bourru comme se doit d’être tout gentleman de fortune : » Tu vois Dallas, JR & les puits de pétrole… Et bien ici c’est pareil sauf que c’est Jean-René et les alambics à châtaigne ! Depuis la disparition du pétrole des régions trop éloignées des grandes métropoles, certains coins vivent sur leur ressources propres.
Ici, le châtaignier pousse bien. La châtaigne est devenue la valeur de référence. Puisqu’on peut faire avancer les tracteurs avec. La bourse est indexée sur le baril de brut de marron et la galette fait référence. Ca mûrit tout seul mais ne t’avises pas de cueillir aux arbres sans y être invité, les sanglichons pincent sévère camarade!
1.Tevo, monnaie de marrons, money.
Ville-Pont sur Drobie,vues, sight-views.
Sous la ville pont.
J’arrivais dans un défilé avec mon sac chargé d’une tente et mes chèvres. A peine avais-je déplié mon sac de couchage, sorti du bois, un brigadier en costume de rangers monté sur un quadcopter électrique m’arraisonnait :
« -Monsieur, vous êtes dans un sanctuaire. Vous ne pouvez pas dormir sur ce territoire et vos chèvres y sont interdites.
-Bien, en quoi mes chèvres perturbent-elles quelque chose ? » répondis-je un tantinet agacé par le ton péremptoire et l’accent bien entendu marseillais du fonctionnaire de police. Lui sur le ton poétique d’une récitation scolaire :
« -En raison de l’arrêté meta-ministériel n°625 alinéa 3 Paragraphe 27 faisant suite à la lois sur les économies d’énergies, Le réseau de communication a été redessiné à sa stricte nécessité c’est à dire un seul axe du nord au sud. Un nom d’usage sera attribué a l’ensemble suivant la particularité folklorique des habitants de la section régie par le présent code. Dans la langue écrite du présent code, on nommera cette section Villepont. Par la présente les lieux d’habitation et de villégiature ne sont déclarés autorisés qu’à Villepont. «
Je le coupais ( ce qui au demeurant est une fort mauvaise idée et une vérité universelle : en tout temps et en tout lieu fut-il honteusement fabulé il est malvenu de couper la parole d’un flic en exercice.) : « Vous ne répondez pas à ma question, en quoi cela concerne-t-il mes chèvres? »
-Oh mais j’y venais ! Il me semble bien pressé la canaille de se faire lire la liste de ses infractions ! Je continue !
En raison de l’arrêté meta-ministériel n°625 alinéa 3 Paragraphe 28 faisant suite à la lois sur les économies d’énergies, l’usage du territoire sera réparti en 3 zones. Une première zone dans l’immédiate proximité est sanctuarisée. En raison de la préservation des paysages et des écosystèmes, aucune personne ou animal exclut du cahier des charges des espèces naturelles de Villepont ne sont admises. A titre d’exemple sont exclus tous les animaux domestiques de somme ou de chair. se référer à l’annexe 4625 du présent texte pour une liste exhaustive. Une seconde zone dite récréative dans laquelle les personnes sont admises à venir en journée mais doivent rentrer au couvre-feu à Villepont. Enfin une dernière zone dite de production entièrement robotisée où seuls sont admis les services de police, de secours et de maintenance. Est punie d’internement et de recalibration civique toute violation au présent code »
-Et mes chèvres?
Pendant qu’il m’énumérait la liste des infractions et des punitions y compris pour outrage que ma dernière question avait provoquée je me perdais dans l’horizon conscient de gouter mes dernières secondes de liberté. Au loin se dessinait un mince ruban rectiligne à travers les montagnes et la végétation.
Anneau énergétiqe urbain, Urban energetic ring.
L’anneau énergétique urbain.
Longtemps, je marchais entre deux bandes cultivées. De loin en loin, d’autres bandes contigües semblaient converger en un point à l’horizon. Et je marchais : Waterloo, Waterloo morne plaine comme disait l’autre, Waterzooi, Waterzooi morne plat comme disait Obelix. Tel fut mon ordinaire de craie poussiéreuse et de platitudes désespérantes des jours durant. Ce qui n’était au début dans mon idée qu’un effet de perspective se révélait être une réalité quand passant des champs de blés au maïs j’arrivais entre les parcages ou paissaient d’innombrables veaux. Derrière eux des Hangars à perte de vue convergeaient vers le centre d’un cercle de plusieurs centaines de kilomètres de rayon.
M’approchant des installation, je rencontrais un garçon vacher. Il se fit fort de me faire visiter l’exploitation familiale. Il était fier de l’installation aquaponique, ainsi que des milliers de km2 de toitures installées en panneaux solaires. Il m’expliquait que lui et sa famille étaient en charge de ce qu’il appelait : »un radian de l’anneau énergétique urbain ». Ils avaient en charge l’approvisionement en nourriture et en énergie d’un quartier de la ville.
Un maire avait décidé, par arrêté municipal, de déclarer la souveraineté alimentaire et l’autonomie énergétique de sa ville. Pour se faire il avait fait mettre au point en lieu et place du boulevard de ceinture une couronne d’installations agricoles. Autour de cette ville, sur des milliers d’hectares, les terres agricoles serviraient à alimenter les habitants de cette bourgade… Cette couronne d’installations et ses terres attenantes , il les appelait l’anneau énergétique urbain. Cet anneau était divisé en quartiers dont la pointe était au centre de la ville et dont les cotés se finissaient aux frontières du terroir de la commune. On appelait radian une division de ce type . Afin de garantir la durabilité de l’ensemble, un système de jachère et de vide sanitaire avait été mis en place. plusieurs quartiers étaient inutilisé des années durant et chaque année, les exploitations tournaient d’un radian ce qui permettaient d’en faire l’assolement, chaque radiant étant spécialisé dans son mode de culture. L’anneau énergétique urbain ressemblait ainsi dans son fonctionnement à une sorte de grande horloge.
Après m’avoir fait cette explication, il m’invitait à rentrer plus avant dans les bâtiments. Nous empruntâmes le tapis roulant des déplacements de maintenance. Pas forcément le plus rapide mais il avait l’avantage de donner une vue d’ensemble du système. Toutes les espèces étaient élevées ou cultivées sur tapis roulants. La vitesse du tapis roulant était réglée suivant un delta entre la croissance de l’animal ou de la plante et le niveau de la demande. A leur position dans la chaine correspondait un traitement adapté.
En fin de parcours, la bête était ainsi abattue, le plan coupé, le fruit récolté, traité, transformé, préparé, conditionné, poussé dans un tube jusqu’à l’assiette du consommateur ration numérotée, quantité déterminée.
Le village des pêcheurs d’étoiles.
Les gens de là, je l’avais vu dans la journée, habitaient de curieuses bicoques. Ras de terre elle ne dépassaient du sol que d’un étage au mieux quand elles ne s’enchâssaient pas à demi dans la roche. Circulaires, un escalier en faisait le tour du sol au plafond de sorte que l’on puisse accéder au toit terrasse de ces modestes édifices. Au centre de chacune un mat crevait le plafond. D’immenses proportions, avec un moulinet comme celui d’une canne à pêche on ne pouvait en voir la pointe cachée par les nuages.
Lorsque la nuit fut noire les étoiles se mirent à moucheter le ciel comme de la farine pulvérisée sur du cirage. Je vis alors sortir des maisons, des hommes et des femmes qui éclairés de bougies ou de lampe frontales à manivelles pour les plus bios d’entre eux ou à piles alcalines pour les autres se mirent à gravir les escaliers de leurs masures. Comme l’on fait d’un lever au drapeau ceux là se mirent à actionner manivelles et moulinet. Au bout d’un temps suffisant pour apprécier leur endurance, je vis petit à petit descendre les étoiles jusqu’à ce que traversant les plafond des maisons, elles viennent en éclairer l’intérieur. A mesure que le ciel se dépeuplait, la plaine se constellait de fenêtre allumées. Puis quand ayant bien ripaillé, lu ou conté histoire à dormir debout, les gens allaient dormir. Alors, ils relâchaient leur prise qui remontaient dans la nuit en flottant tranquillement. Ils rendaient au ciel les joyaux qu’ils lui avaient emprunté pour entrer plus doucement dans la nuit.