Issu d’un travail de veille sur l’axe terres des villes réalisé en 2018 avec l’appui de la recherche de la cité du design, ce texte tente d’inventorier et mettre en regard les différentes formes de « remédiation » des sols telle qu’elles peuvent-être pratiquée par les designers et les artistes. Cette « remédiation » doit s’entendre dans une dimension conjointe de « l’apporter remède » et du « remettre en média ». Inscrite dans une pratique de recherche en design, elle tiendrait de l’ « enactement » au sens ou l’entend Varella (1) – d’une production alternative de connaissance sur les sols par leur mise en acte. Comment s’emparent-ils de cette notion, quel sens y apportent-ils ?
Une tentative de déblaiement de la notion de remédiation des sols chez les artistes et les designers.
On entend parler de remédiation des sols au travers des pratiques de Bioremédiation |1| avec ses parentes phyto-, myco-, phyco-.Il s’agit d’un ensemble de techniques de décontamination des sols pollués dont le principe est basé sur les capacités d’organismes vivant à capturer et/ou dégrader des composés chimiques nocifs.
La notion de remédiation des sols semble exister presque exclusivement dans un univers technique et scientifique et spécifiquement pour les sols pollués. Elle englobe des pratiques de l’ordre de la dépollution,de la restauration ou encore de la conservation des sols. Ce terme s’est imposé à nous parce qu’il permet de qualifier un ensemble de façons hétérogènes de « réparer un sol cassé ».
C’est ce qu’en tant que designer, on est conditionné à faire : trouver une solution, réinitialiser, remettre en état. Les propositions en ce sens sont, pourtant, il faut le dire, assez rare, mais elles témoignent d’une préoccupation pour un cadre socio-économique. Il est intéressant de noter que les propositions que nous avons put identifier émanent d’une pratique des « material narrative ». C’est une recherche sur le matériaux comme moyen de concentration d’un métabolisme qui va permettre de mettre en récit la complexité d’une situation.
Audrey Speyer a par exemple monté une entreprise, PuriFunghi pour proposer des moyens de dépollution en myco-remédiation aux particuliers et aux organisateurs d’évènements. D’abord conçu comme une capsule d’innoculation de champignons dépolluants, le projet s’est orienté vers la proposition de décomposeur de mégots usagés à destination des festivals. Anne Fischer, consciente de la durée d’immobilisation des terrains en cours de remédiation propose d’utiliser les métaux captés par les plantes pour faire des émaux. L’inscription de cette proposition dans un contexte culturel local de production de céramique ancre le récit de la proposition du côté des matériaux et de l’artisanat .
Ce mot, remédiation est porteur d’une ambivalence qui nous semble bienvenue, puisqu’elle ouvre de facto une porte des sols à nos disciplines. Dans son sens premier d’ « apporter remède« , une remédiation suppose un état initial qu’on juge sain, suivit de sa dégradation. Elle opère une restauration des qualités première ou une transformation vers un état de nouveau jugé bon.
Il existe aussi dans ce terme l’idée d’une re-médiation, autrement dit l’invention d’un nouveau récit qui va permettre à un sol qui n’aurait plus d’usage possible -donc de destin- de s’inscrire à nouveau dans l’histoire des hommes. L’ engagement dans une pratique de « réanimation [3] » – ou de superposition d’un récit alternatif ou parallèle au récit quotidien – permettrait de recharger l’imaginaire de nos représentations du sol. La piste notamment choisie par plusieurs designers et artistes tend à mettre en scène une vie de la terre. Cette mise en lecture de l' »anima » souterraine peut se lire comme une tentative de transposition d’une relation animiste. Isabelle Daëron lui donne voix dans le cri du sol. L’institut sol fiction par à la recherche d’un nuage souterrain, nous entraine dans une lecture de l’excavation urbaine à travers les tunels du grand paris. Gislain Bertholon, quant à lui transforme notre appréhension du crassier, déchet minier devenu taupinière géante.
Cela fait écho à la dimension éducative que nous apportent les sciences cognitives pour qui la remédiation désigne un processus de rééducation des fonctions cognitives altérée. Il est par exemple notable dans le travail d’Oliver Sacks, de voir que la (re)mise en récit des sujets atteints de troubles neurologiques, joue un rôle certain dans leur rémission.
Le principe d’enaction , issu du même champs disciplinaire est de cet ordre.
Décrit par Varella, la théorie de l’énaction (ou faire émerger par l’action) oppose un principe de « cognition incarnée » au dualisme qui dissocie la constitution de connaissance de l’expérience corporelle vécue. Il explique qu’au contraire l’intelligence ne peut exister indépendamment du corps qui l’abrite. Ainsi, dans la perspective de l’énaction, « l’acte de communiquer ne se traduit pas par un transfert d’information depuis l’expéditeur vers le destinataire, mais plutôt par le modelage mutuel d’un monde commun au moyen d’une action conjuguée ».
La pratique de remédiation des sols, pour l’artiste ou le designer reposerait sur une énaction d’un rapport à la terre, l’émergence d’un faire monde avec le sol par sa mise en acte.
Si la notion de remédiation revêt un caractère technologique, qui la positionne a priori dans le monde des sciences de l’ingénieur, elle recouvre également des aspects symboliques voire juridiques, comme celui de la réparation[2] . Il s’agirait de disposer d’outils juridiques afin de pouvoir réclamer réparation et dédommagement lorsqu’une atteinte a été porté à la nature. On parle d’écocide, que les militants souhaitent faire reconnaître comme cinquième crime international par la cour pénale internationale. Une autre idée, en parallèle de cette notion d’écocide, est de donner des droits à la nature et ainsi en faire une entité juridique avec une personnalité morale. Cela s’est déjà fait dans certains pays comme l’Equateur ou la Nouvelle-Zélande pour leur fleuve et rivière. Ainsi, de la même manière, nous pourrions imaginer que la terre ou le sol devienne également une entité juridique.
Les enjeux d’une remédiation se situeraient au bout des possibilités d’extraction successive des valeurs d’un sol (Agraires, foncières, industrielles (dont minières) & financières ). Que faire de la terre quand il n’y a plus rien à en tirer ?
C’est donc naturellement qu’émerge l’idée de régénération de la valeur foncière. On regardera par exemple les programmes immobiliers de reconversion des zones industrielles en parcs, zones de loisirs, ou zones tertiaires dont le leitmotiv de l’attractivité est aujourd’hui bien connu. Projets dans lesquels la remise en état du sol est un préalable ; une garantie d’innocuité des sites traités. Le sol serait un facteur de risque à contenir : il faut dépolluer « point ». On remarquera que les coûts de cette « contention » sont supportables à partir du moment où la pression sur l’immobilier est suffisante. Comment fait-on cependant quand cette opportunité de revalorisation[4] foncière est peu probable voire nulle ?
Il existe une dynamique de refonctionalisation [5] des sols urbains basée sur une approche des « services » écosystémiques du sol qu’il est question de conserver, augmenter voire mimer. (absorption et filtration de l’eau, capture du carbone, support des cultures agricoles, archive,…). On peut se poser la question du sens de cette approche. S’agit-il encore une fois de transformer une propriété du sol en valeur en vue de son extraction – ou seulement d’un modèle pratique d’écologie fonctionnelle ? En somme l’approche « servicielle » serait-elle un nouveau récit, une re-médiation du capitalisme extractif ?
Cultiver n’est pas exploiter. Un intérêt réside dans la polymorphie de l’objet “terre” : c’est à la fois la poignée, le tas, la surface ou la planète. Ainsi, prendre soin des sols, c’est aussi prendre soin du monde et faire monde avec les autres espèces vivantes qui l’habitent ou dépendent de ses modes de fonctionnements. Une approche culturale, située et relocalisée – en un mot : paysanne [6] – offre-t-elle une alternative au paradigme extractif ?
Nous permettrait-elle d’entrer dans une logique de cohabitation et de coproduction des sols avec les autres espèces vivantes?
[1] Bioremédiation | ∧ Retour à l’article
Purifunghi Audrey Speyer. Les recherches de Paul Stamets à qui l’on doit le terme mycoremédiation montrent que les champignons peuvent être utilisés pour dégrader des composés toxiques organiques et aromatiques dérivés du pétrole. Ce projet propose un bioréacteur permettant aux champignons de s’installer en terrain nu dans un environnement adapté à partir duquel étendre leur mycelium.
Rising from its ashes. Anne Fischer. Ce projet propose de transformer des plantes, capables d’absorber les métaux lourds relâchés par une ancienne mine cévenole, en émaux permettant de neutraliser ces éléments polluants, liant le passé industriel avec la tradition potière afin de revitaliser une région et son patrimoine.
Blooming Ground. Anne Fischer. C’est une plate forme d’information sur les sites pollués en France. La phytoremédiation est un processus utilisant des plantes capables de traiter les polluants. Bien qu’elle soit parmi les processus les plus prometteurs pour dépolluer les sols, son développement est limité par le manque de valorisation des plantes. Il serait donc essentiel d’explorer les usages possibles de ces plantes pour leur donner un intérêt économique et encourager ainsi le recours aux systèmes de phytoremédiation.
[2] Réparation | ∧ Retour à l’article
Le procès Monsanto. Marie Monique Robin.
A la suite de l’enquête « le monde selon Monsanto », un collectif emmené par la journaliste Marie Monique Robin monte un procès-représentation de la firme chimique pour crimes contre l’humanité. Cette anticipation va permettre de construire et d’éprouver une structure argumentaire qui alimentera les actions de justice indiviuelle et collectives dont fait aujourd’hui l’objet l’entreprise Bayer, propriétaire de Monsanto depuis 2018.
Indian Act. Marie Monique Robin. Your content goes here. Edit or remove this text inline or in the module Content settings. You can also style every aspect of this content in the module Design settings and even apply custom CSS to this text in the module Advanced settings.
[3] Re-fictionalisation | ∧ Retour à l’article
Cumulus Subterraneus. Institut Sol Fiction. Your content goes here. Edit or remove this text inline or in the module Content settings. You can also style every aspect of this content in the module Design settings and even apply custom CSS to this text in the module Advanced settings.
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[4] Revalorisation | ∧ Retour à l’article
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[5] Refonctionalisation | ∧ Retour à l’article
Terres de Paris, Paul-Emmanuel Loiret & Serge Joly, « Terres de Paris », exposition au pavillon de l’Arsenal analyse le parcours de la terre excavée au quotidien en Île de France et révèle un potentiel jusqu’alors inexploré pour imaginer un nouveau cycle plus vertueux, non plus de la terre aux déblais, mais de la ressource au matériau.
CoolSeals. Los Angeles City Council. Au printemps 2018, dans le but de réduire les îlots de concentration de chaleur, la mairie de Los Angeles a fait peindre une partie de ses rues en blanc.
Air des carrières. collectif. Réinterprétant le principe du puits canadien, le banc climatique, en terre crue, exploite l’air frais disponible dans les carrières parisiennes pour rafraîchir ponctuellement l’espace public parisien en période estivale
Carbon Farming. La séquestration du carbone par un accroissement de la biodiversité dans les terres arables permettrait de freiner le réchauffement climatique. C’est un des scénarios défendus par le GIEC dans le rapport 2019 dont l’axe de travail porte principalement sur les sols et la sécurité alimentaire.
Le sol urbain: surface inerte ou capital naturel ? Helena Havlicek. Les sols sont l’une des composantes essentielles de l’écosystème urbain. Ils y jouent un rôle dans la régulation du climat, le support de la végétation et, dans une moindre mesure, l’approvisionnement en produits alimentaires et en matières premières. Suivant le contexte historique des villes, une diversité de types de sols (naturels, quasi-naturels et construits) existe assurant différents services écosystémiques au sein du milieu urbain.
Les services écosystémiques représentent les bénéfices offerts aux sociétés humaines par les écosystèmes. Ce mode de représentation anthropocentré et disons le utilitariste a été mis en lumière par L’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire , un document commandé en 2000 par le premier secrétaire de l’ONU pour notamment donner à voir en équivalent valeur monétaire l’ensemble des services « gratuits » rendus par les écosystème « naturels ».
La pédologue propose une lecture des services du sols suivant le niveau d’artificialisation du sol. On peut ainsi voir que plus le sol est construit et plus les fonctions de production végétale, de régulation climatique et de purification de l’air sont dégradées.
[6] Remédiation paysanne | ∧ Retour à l’article
Wheatfield – a confrontation. Agnès Denes, En mai 1982, un champ de blé de 2 acres a été planté sur un site d’enfouissement dans le bas de Manhattan, à deux rues de Wall Street et du World Trade Center, face à la statue de la liberté. L’ensemencement et la récolte d’un champ de blé d’une valeur de 4,5 milliards de dollars ont créé un puissant paradoxe. Wheatfield était un symbole, un concept universel ; il représentait l’alimentation, l’énergie, le commerce mondial et l’économie. Il a fait référence à la mauvaise gestion, au gaspillage, à la faim dans le monde et aux préoccupations écologiques.
Dalston Mill. Collectif Exyzt. Forme d’activation temporaire d’un block londonien, Dalston Mill articulait la production d’un moulin à une programmation culturelle.
Oakland Avenue Urban Farm. Akoaki. Un projet de développement urbain porté par les habitants d’un quartier de Detroit dans lequel maraîchage et arboriculture collective servent d’assise sociale au développement d’un ambitieux projet culturel. S’y mêlent et s’épaulent confitures, expérimentations constructives et afro-futurisme.